Ô Dame de la demeure, par Pierre-Yves Albrecht

Accueil > Blog & Actualités > Toutes les actualités > Ô Dame de la demeure, par Pierre-Yves Albrecht
Publié le 22 avril 2023

Pierre-Yves Albrecht est licencié en philosophie et docteur en ethnologie. Il a co-écrit deux ouvrages avec Annick de Souzenelle : Cheminer avec l’Ange et Initiation

« Ôh ! crois, ô mon cœur : rien ne va se perdant pour toi. Tien demeure, oui, tien à jamais, ce qui fut ton attente, ce qui fut ton amour, ce qui fut ton combat. »

Ces paroles par lesquelles s’achève la symphonie Résurrection de Mahler m’inspirent cet hommage, ô Dame de la Demeure, et rendent à merveille la nature de ce climat où nous progressions tous deux.

Que cherchions nous là-bas ? T’en souvient-il ? Après nos enseignements en duo où nous tissions les thématiques qui nous sont chères avec des mots vibrants sur une même harmonique, on procédait discrètement à ce que nous appelions « nos petites fugues ». Tu me confiais le volant et, résolument, nous fixions le cap sur une terre choisie de la belle campagne française. C’était les berges du lac du Poète près d’Annecy ou encore les bocages de la Dordogne, et d’autres lieux de ton enfance où tu me montrais avec joie, ces « vieilles » demeures que j’aime tant. Tu le savais ! Tu me disais : « ça c’est le manoir de X, on venait jouer dans le parc, ici j’ai traversé la rivière en été quand elle était à basse eau », et encore « ici c’est la maison de mes quinze ans, vois les magnifiques encadrements des portes et des fenêtres ! » On s’asseyait dans l’herbe, on partageait une frugale nourriture avec l’incontournable rituel du verre de rouge. Tu connaissais mon amour pour la vigne et combien celle-ci était importante dans ma vie. Ainsi jamais tu n’oubliais la « dive » bouteille.

Au fil de ces pèlerinages sur la Terre imaginale et des dialogues que celle-ci mûrissait entre nous, le triste bilan de ce monde mécanique en gestation se précisait : constatation des âmes mortes de plus en plus nombreuses dans notre saeculum machiné, et dont les rêves éteints ne fécondent plus aucune terre de résurrection, susceptible elle-même de faire germes les âmes jusqu’à leur plus excellente floraison ! Terre de désolation !

Comment aider à cette revivification des cœurs ? Quelle vision et quelle pratique initier pour émerger de la platitude unidimensionnelle et poursuivre l’ascension des esprits ? C’est lors de ces promenades bucoliques, tu le sais chère Annick, que notre enthousiasme unifié pour ces thèmes éclatait en pleine lumière. Dans cette dimension où l’imagination vive peut fleurir et élaborer des « possibles » paradisiaques (car nous savions que rien n’est inéluctable, et surtout pas l’enfer !), on rêvait, en combattant, un monde de formes idéales à surimposer sur les structures de grisaille, prisons de nombreuses vies amies qui nous étaient chères.

Ainsi naquirent nos rejetons, d’abord des textes épars puis rassemblés, unifiés en ces deux enfants dont nous fûmes fiers : Cheminer avec l’Ange puis L’Initiation.

Avons-nous, Dame, jusqu’ici cheminé avec l’Ange ? Un jour tu m’as parlé d’un rêve (j’ai toujours admiré le remarquable foisonnement de tes rêves et l’éclectisme raffiné de tes interprétations, alors qu’à l’époque j’étais pauvre en rêves nocturnes !). Je te tenais à bras le corps, me disais-tu, pour que tu puisses regarder derrière le mur et il était important pour toi que je ne te lâche pas. Suite à ta vision j’ai écrit Le maître et le disciple où le héros « Alim » effectue une opération analogue à celle que tu décris : Alim est monté sur les échasses et regarde « derrière le mur ». Un quidam en bas l’interroge : « Que vois-tu derrière le mur ? ». Alim lui répond simplement : « l’intérieur d’une semence ! »

N’avons-nous pas prospecté les deux dans les possibles de cette semence et constaté avec bonheur la toute-puissance de la Victoire. Aucune force au monde ne peut vaincre celle de l’Amour. Parfois je pense : « même Dieu le Tout Puissant ne peut m’interdire d’aimer » ; s’il me l’ordonnait je lui répondrai « il n’en est pas question, j’aime malgré Vous ! »

Pour te dire, Annick, que cet hommage à ta centième bougie est pour ton ange et non pour célébrer un certain nombre d’années ! Quel âge a ton âme ? L’âme a-t-elle un temps de cette sorte qu’on mesure avec Chronos ? L’âme n’a-t-elle pas l’âge de son temple ?

L’âme vivante est d’essence chevaleresque ; or l’on sait que la chevalerie, qu’elle soit d’horizons les plus divers, réfert à cette idée d’éternelle jeunesse sur laquelle le temps n’a pas de prise parce que sa nature est spirituelle. Ces paroles sont pour ton âme fidèle au pacte conclu avec son Seigneur et respectueuse des valeurs blasonnées engagées pour Son orient ; elles sont pour la Dame aimante, à jamais droite et debout, au-delà du temps et des ruines.

Avec amour

Pierre-Yves