L’Initiation, ouvrir les portes de notre cité intérieure, par Annick de Souzenelle et Pierre-Yves Albrecht

Accueil > Actualités du centenaire > Toutes les actualités > L’Initiation, ouvrir les portes de notre cité intérieure, par Annick de Souzenelle et Pierre-Yves Albrecht
Publié le 22 avril 2023

Extraits de « L’initiation » (2013, éditions du Relié, pages 258 à 268), un livre coécrit par Annick de Souzenelle et Pierre-Yves Albrecht, licencié en philosophie et docteur en ethnologie. Il vient en aide aux jeunes en situation de détresse, en s’appuyant sur les rituels d’initiation.

 

Annick de Souzenelle :

J’ai été très touchée par l’intelligence que tu as eue de relier les dérives des enfants que tu reçois dans les foyers, « enfants sans nom », dis-tu, enfants profondément blessés, avec la phase « sauvage » des initiations crétoises, par exemple. Pendant cette phase impitoyable de l’initiation, tous les coups étaient permis, dis-tu en écho à Mircea Eliade d’ailleurs, et ces coups faisaient découvrir aux jeunes les fauves qui sont en eux dans leur état d’ombre afin de les faire venir à la lumière, mais cela n’était possible que parce qu’un maître avait préparé ces jeunes à l’harpagé, puis mettait le terme à leur débordement pour les amener au retournement fondamental dont nous parlons tous deux. Or les jeunes que tu reçois ont la chance de trouver un maître mais leur sauvagerie a été plus que sauvage ; elle a fusé sans aucune préparation et leurs fauves les ont détruits contrairement à ces jeunes Crétois qui, eux, étaient « augmentés ». Comment as-tu pallié ce manque du maître pendant cette phase sauvage chez nos jeunes, d’aujourd’hui ? L’humanité d’aujourd’hui n’est-elle pas elle-même dans cette phase ?

Pierre-Yves Albrecht :

Il est bien évident que les jeunes de l’harpagé de la Grèce antique vivaient une situation bien différente de celle des gosses de nos cités, par le simple fait de la présence de maîtres en initiation qui s’en occupaient, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ! Quel était le rôle de ceux-ci ? Sur l’itinéraire initiatique, le maître aide le jeune à effectuer la métanoïa, le retournement sur lui-même, à se connaître intimement, c’est-à-dire à se voir tel qu’il est et non tel qu’il pense être, à scruter ses vraies intentions et préjugés, à comprendre son instinctivité et ses automatismes, sur lesquels a priori se bâtissent ses représentations et son système de valeurs, à développer le courage d’assumer la responsabilité de ses actes, à s’orienter vers l’Orient de son âme : son cœur. Par des techniques diverses et surtout une sa­gesse, il permettra à l’enfant de canaliser ses énergies passionnelles et de focaliser ses puissances en les sub­tilisant vers des finalités de plus en plus lumineuses. Lorsque le temps sera venu et que l’âme de l’adolescent, testée et polie comme un miroir, sera apte à réfléchir les « messages des dieux », il lui transmettra une force spirituelle, une baraka, un charisme, selon les modali­tés de sa culture, le germe initiatique que le jeune sera appelé à faire naître jusqu’à sa plus vaste amplitude.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Sous la pression d’un système devenu aveugle aux paysages de l’âme, on es­quive l’initiation et les rites pubertaires sont tombés en désuétude. Dès lors, les gosses, obéissant à l’exigence fondamentale de leur âme qui est de se transformer, procèdent à l’auto-initiation, qui tourne très vite, par l’absence des maîtres en ce domaine et par l’oubli des lois ontologiques, à ce que l’on nomme la « contre- initiation ».

[…]

Annick de Souzenelle :

Nous avons à préparer nos jeunes à recevoir les messages de l’ange. Le sens des initiations est là. Mais quelles formes leur donnerais-tu aujourd’hui pour inciter l’Homme, le plus tôt possible, à nommer sa jungle intérieure sans que cela reste au niveau du mental, mais pour que ces puissantes énergies s’expriment avant un carnage, dans une expérimentation immédiate ?

Pierre-Yves Albrecht :

J’aimerais rappeler ici, pour que l’on comprenne bien l’enjeu de l’initiation, que notre être est comme une cité dont le centre est le cœur. Ce dernier dispose de colla­borateurs internes et externes : les premiers sont les philosophes (l’intelligence), les artistes (l’imagination), les archivistes (la mémoire), les hommes d’action (la volonté) ; les seconds concernent la soldatesque assi­gnée au service des feux passionnels liés à la sexualité (libido) et à la colère (hybris) à travers les cinq sens et les membres du corps. Si les lumières de l’intelligence sont harmonisées par le Vrai, le Beau et le Bien des pre­miers, celle-ci ordonnera les impulsions des hommes de guerre symbolisant désir sexuel et violence bestiale, et la cité de l’être sera dans la paix. Au contraire, si les troupes passionnelles prennent l’avantage, le chaos s’installera. C’est cet ordre de réalité que doit régler l’initiation, la croissance de cette énergie de la Parole qui passe, comme tu l’affirmes, par le sexe, l’épée et le verbe ! L’esquive de cette dernière engendre une situa­tion de servitude, de dépendance au sein de laquelle la personne se retrouve prisonnière de ses propres désirs Comme le « monde d’en bas » a pris possession du cœur, celui-ci ne peut plus refléter les informations du « monde d’en haut ». Il s’agit donc bien de possession, ce que l’on constate avec évidence à travers toutes les formes de la dépendance.

Les formes d’initiation ou de rites de passage à réactualiser devraient être celles en rapport avec notre culture, basées sur l’anthropologie tripartite, corps, cœur, esprit, comme pratiquées dans les systèmes indoeuropéens dont j’ai tant parlé. Ce sont ces schémas initiatiques que nous avons revivifiés dans le cadre thérapeutique de nos foyers, et dont je parle dans le livre de L’Archer blanc.

Mais idéalement l’initiation devrait intervenir plus tôt et pour tous les enfants ; il s’agirait d’introduire dans les écoles, dès le plus jeune âge, une formation initiatique qui double en parallèle la formation culture » professionnelle et qui permette au jeune de devenir un Homme au sens plein du terme, d’harmoniser tout au long de sa croissance la cité de l’être intérieure. Ceci est mon vœu le plus cher. Plus simplement, les pédagogues, devraient prendre conscience de ce que signifie le mot « éduquer » qui, dans son acception la plus fondamentale, ne veut rien dire d’autre que conduire l’enfant vers la lumière, donc l’initier.